Raphaël, de la micro-aventure au conseil climat

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14/10/2022

Numéro de 55 degrés à l'ombre, notre newsletter mensuelle qui décrypte l'actualité des entreprises face au dérèglement climatique.

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Le déroulé de cet épisode

Salut Raphaël, comment ça va ?

Je vais bien, merci ! Ce qui va ressortir de la COP27 me tend un peu, mais ça va bien tout de même.

Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

Chez Magelan, j’ai la casquette de consultant climat. En dehors, je troque souvent cette casquette contre un casque de vélo pour arpenter nos merveilleuses campagnes.

Qu’est-ce qui t’a mené à vouloir travailler sur le climat ?

Comme beaucoup de personnes, je pense, j’ai vécu une “claque écologique” à un moment donné. Pour moi, c’était durant mes années étudiantes : alors que j’étudiais la finance de marché, j’ai pris un cours optionnel sur la responsabilité sociale des entreprises et notre prof nous a parlé des Limites à la croissance de Dennis Meadows… Bon, très clairement, je me souviens qu’à partir de là, tout a changé de saveur dans mes études. Le simple fait de “valoriser” une entreprise à sa seule capacité à croître dans un monde théoriquement infini, ça a fini d’achever cette voie pour moi. Je suis allé voir du côté des économies d’énergie chez Schneider Electric à l’époque.

Mais personnellement, je ne suis pas arrivé au climat tout de suite. J’ai d’abord été assez attiré par toutes les questions de comptabilité environnementale : comment intégrer la valeur du capital naturel dans le bilan comptable d’une entreprise, comment internaliser les externalités ou comment valoriser les services écosystémiques, etc... On a la chance d’avoir des super chercheurs sur ces sujets en France, notamment Jacques Richard ou Alexandre Rambaud. Je reste d’ailleurs persuadé que ça devrait être l’obligation d’une entreprise de maintenir le capital naturel qu’elle “emprunte”, au même titre que l’épanouissement de ses salariés et le remboursement de ses créances. Donc j’étais plus tourné sur de l’écologie au sens large que simplement sur les émissions de gaz à effet de serre.

Et puis, je crois que c’est une remarque de Valérie Masson-Delmotte qui m’a fait tiquer un jour. Elle disait quelque chose comme “de toute façon, dans un monde à +3°C, il n’y aura plus grand chose qu’on puisse faire d’écologique”. Ça, combiné avec la Convention Citoyenne pour le Climat (cette incroyable démonstration d’écologie spontanée et démocratique), le Manifeste étudiant pour un réveil écologique (la révolte des jeunes) et les piqures régulières de Jancovici ont fini de me convaincre que lutter contre les émissions de gaz à effet de serre était LA priorité. D’où mon cheminement vers la comptabilité carbone et la stratégie climat !

Concrètement, c’est quoi ton travail au quotidien ?

Alors j’ai deux grands types de missions.

Tout d’abord, je fais de l’accompagnement de PME/ETI à l’élaboration d’une stratégie climat. Pour la plupart, il s’agit de commencer par un calcul de leur empreinte carbone pour bien comprendre où se situe l’impact de leurs opérations sur le climat et réciproquement, l’impact d’un climat changeant sur leur chaîne de valeur. À partir de là, on construit pour l’entreprise un plan d’actions qui va se concentrer sur les leviers prioritaires de sa chaîne de valeur. Pour les plus avancées sur le sujet, on travaille ensuite à définir une trajectoire compatible avec les engagements internationaux, à instaurer une gouvernance pour piloter la transformation en interne et à faire monter en compétence les différentes équipes sur le sujet carbone.

Le reste du temps, j’ai un rôle de formateur. Je forme des équipes en entreprise ou en fonds d’investissement aux enjeux climat et à la comptabilité carbone. L’enjeu étant que les participants montent en compétence et adoptent des nouveaux réflexes. Nous ne sommes pas du tout sur de la formation descendante, les climatologues du GIEC et les professeurs font ça bien mieux qui moi. Je passe beaucoup de temps au contraire à animer des ateliers de mise en pratique des concepts. Et je trouve ça super chouette !

pour les aider à dépasser les difficultés inhérentes à la décarbonation de leur scope 3.

Enfin, je passe aussi du temps à produire des supports pédagogiques ou des études pour alimenter les discussions autour de la transition. Actuellement, je travaille sur le sujet de la contribution écosystémique des entreprises, à savoir les tactiques qui existent pour décarboner une chaîne de valeur ou un secteur, forcément de façon collective.

2 jours pour vivre — c’est quoi le concept ?

Rien d’apocalyptique ou de survivaliste, je vous rassure. C’est l’oeuvre de ma compagne Amélie Deloffre qui, au départ par une newsletter, puis un livre chez Gallimard, des conférences et des lettres, invite chacun à vivre la vie intensément par le biais de l’aventure. Mais pas n’importe quelle aventure… l’aventure locale, proche de chez soi, qui ne demande pas grand chose d’autre que ses pieds et sa curiosité (et parfois, un vélo ou un kayak). Finis les vols Easyjet à Lisbonne, la vie idéalisée des réseaux sociaux ou l’équipement hors de prix. Place aux vrais moments de partage, de découverte et d’incertitude dans le merveilleux paysage français. C’est ça le credo de la microaventure (1).

Par notre pratique et nos rencontres, il nous est apparu évident que derrière l’engouement pour de telles valeurs il y avait aussi un nouvel idéal positif à créer autour d’un voyage plus sobre en carbone. On manque en effet cruellement de tels récits positifs ! C’est là que j’ai rejoint le projet, pour aider à développer une activité d’accompagnement de destinations qui voulaient prendre le virage d’un tourisme plus sobre dans les déplacements et la consommation. On a ainsi travaillé avec des destinations qui ont des problématiques très différentes (sur-tourisme, sous-fréquentation, hyper-saisonnalité, risques climatiques, manque d’enneigement,…) pour mettre en place une stratégie à la fois d’atténuation (réduction des émissions) et d’adaptation (résilience, diversification) face au changement climatique. Cette stratégie venait très souvent nourrir la construction des Plans Climat Air-Énergie-Territoriaux (PCAET) ou les Schémas de cohérence territoritoriale (SCoT) en cours.

Dans les faits, on commençait toujours par un exercice de projection dans l’avenir avec l’objectif de faire émerger une vision positive du futur pour la destination. Grâce à la créativité d’Amélie, on a animé des séances de design fiction (la projection dans des futurs souhaitables) et de mise en récit qui permettaient d’avoir une vraie boussole dans la transition à venir. Ensuite, on pouvait utiliser ce cap pour fédérer les acteurs du territoire (élus, professionnels du tourisme, porteurs de projets) et créer ensemble les services de demain, pour les visiteurs et la population locale. Je vous invite à aller voir, par exemple, la stratégie mise en place par Avignon pour développer un tourisme plus résilient et plus sobre, via le tourisme nature.

Enfin, je trouve que c’est un secteur particulièrement intéressant à étudier car il est un exemple paroxystique des enjeux de la transition. Il repose en effet sur des flux extrêmement fragiles aujourd’hui : c’est une des premières mannes économiques du pays (2) et quand on regarde, il est fortement dépendant à l’avion et à la voiture individuelle. À l’aune des objectifs de neutralité carbone, c’est toute la viabilité d’une économie qui est mise en risque de transition. En même temps, les destinations françaises subissent de plein fouet le changement climatique à l’image des canicules, sécheresses et feux de forêt de cet été, ce qui remet complètement en question leur capacité à accueillir voir même à attirer les flux touristiques (risques physiques). C’est dans cette double contrainte que le secteur va devoir s’adapter et surtout se saisir des opportunités de la transition. En ce sens, je pense que l’aventure et tout ce qu’elle implique de mobilité douce, de temps long, de proximité, de multi-saisonnalité et de co-bénéfices locaux est un merveilleux vecteur de transition !

Et… tu le vis comment de passer ta journée derrière un écran ?

C’est un métier qui forcément implique une bonne dose d’analyse et de temps passé derrière son ordinateur, mais je dirais qu’il y a plusieurs choses qui font que j’y trouve mon équilibre aujourd’hui. Tout d’abord, je trouve du sens à ce que je fais. Les analyses que je produis apportent de vraies clés aux dirigeants et aux équipes avec qui on travaille. À partir de là, c’est plus facile de savoir pourquoi on s’assoit à son bureau ! Deuxièmement, j’ai la chance chez Magelan de pouvoir passer une bonne partie de mon temps sur des activités de formation et donc en mouvement ! J’aime particulièrement être au contact des gens, partager les enjeux de la transition et animer des groupes. Au-delà du mouvement et des rencontres que ça implique, ça nourrit énormément mes réflexions et ma motivation quand je reviens à mon bureau. Enfin, la liberté que j’ai de pouvoir travailler d’où je le souhaite me permet de trouver le cadre qui me conviendra le mieux pour passer ces moments derrière l’ordinateur. C’est un équilibre qui me convient bien aujourd’hui.

L’éco-anxiété tu connais ?

Avant d’être anxieux sur le futur, je suis bien souvent affligé par ce que l’on a déjà perdu aujourd’hui du fait d’un climat changeant. Je passe beaucoup de temps en nature et je vois des paysages, des écosystèmes et des équilibres se transformer en quelques années, à l’image des glaciers qui fondent ou des populations d’insectes et animaux qui disparaissent. Pas très loin de nous, les réfugiés climatiques sont déjà une réalité depuis plusieurs années : des zones de la planète ne sont plus vivables à cause du changement climatique d’origine humaine. Je suis très souvent pris par l’émotion dans ce deuil contraint et répété mais c’est aussi ça qui a mis le sujet au coeur de mes préoccupations.

Face à l’avenir, je ne suis pas optimiste tous les jours. La mise en parallèle des trajectoires à suivre sur le papier et l’inertie collective qu’on observe tous les jours n’inspirent pas forcément confiance... Et les médias ne font pas grand chose pour nous aider à sortir de la peur je trouve. Je suis personnellement assez influencé par les philosophies orientales et elles nous invitent à voir qu’on ne peut pas prendre de bonne décision sur le mode de la peur. Ce qui me fait dire qu’on manque cruellement de visions enthousiasmantes pour l’avenir. On manque de récits de sociétés, de modèles de communautés et de visions d’entreprises compatibles avec un climat stabilisé qui donnent envie à la diversité de personnes que nous sommes. En cela, la transition bas carbone n’est pas le pré-carré des ingénieurs et des consultants : il faut des créatifs, des originaux, des voies indépendantes, des rêveurs et des fédérateurs. La transition sera enthousiasmante ou elle ne sera pas (ou pas comme on la souhaite) !

Pour finir, des recommandations pour notre audience ?

Personnellement, j’essaie de toujours garder un esprit ouvert : face à la diversité de contextes humains et économiques que j’observe en entreprise, tous les jours je me rappelle au fait que l’on aura besoin d’une mosaïque de solutions dans la transition. Il n’y aura pas une seule solution miracle. Et pour moi, c’est le rappel qu’il faut d’abord écouter l’autre et chercher à comprendre son contexte avec authenticité. Qui a dit que l’empathie était la compétence du XXIe siècle ?

(1) : Pour en savoir plus sur la microaventure, rendez-vous sur le site de 2jourspourvivre.

(2) : Le tourisme représente 7% du PIB français, dont 2,3% rien que pour les touristes étrangers. En comparaison,les activités agricoles et agroalimentaires représentent 3,4% du PIB.

Ressources liées

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pourquoi-fixer-une-trajectoire-de-decarbonation
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annee-2023-magelan-chiffres
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