Pourquoi fixer une trajectoire de décarbonation et comment la suivre

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2/2/2024

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Le déroulé de cet épisode

En tant que cabinet de conseil en transition écologique, nous sommes souvent sollicités par des entreprises qui veulent mettre en place une trajectoire de décarbonation. Si les motivations des entreprises qui nous écrivent peuvent varier — pression des investisseurs, des clients, ou obligations réglementaires — le discours des équipes dirigeantes est souvent le même : « nous devons mettre en place une trajectoire SBTi compatible avec l’Accord de Paris ».

« Accord de Paris », « trajectoire SBTi »… Autant de termes techniques qui peuvent intimider. Si vous ne maîtrisez pas encore parfaitement tout ce jargon, permettez-nous de vous éclairer.

Comment définir votre objectif de décarbonation

Que vous ayez mesuré votre empreinte carbone ou non, si vous souhaitez réduire vos émissions, vous devez répondre à deux questions fondamentales :

  1. Quelle réduction visons-nous ? Quels sont nos objectifs de décarbonation ?
  2. Quel rythme de réduction visons-nous ? Quelle est notre trajectoire ?

Figurez-vous que les États se posent à peu près les mêmes questions. Voyons comment les initiatives des entreprises s’articulent avec celles des nations.

Le lien entre objectifs globaux et trajectoires nationales

L’Accord de Paris, signé à l’issue de la COP 21 (2015), fixe un cap à long terme : maintenir l’augmentation de la température mondiale « nettement en dessous » de 2°C d’ici à 2100 par rapport aux niveaux préindustriels et « poursuivre les efforts » en vue de limiter cette augmentation à 1,5°C. Cela signifie que nous devons atteindre l’objectif de zéro émission nette, soit une égalité entre le CO2e émis et le CO2e capté, avant de franchir le seuil des 2°C de réchauffement. Nous sommes donc pris par le temps. Voilà pour l’objectif global.

L’Accord de Paris laisse ensuite la main aux États pour déterminer eux-mêmes leurs engagements climatiques, c’est-à-dire leur façon de contribuer à l’atteinte de l’objectif global, en fonction de leurs contraintes domestiques. À l’échelle continentale, l’Union Européenne a par exemple fixé un objectif de réduction des émissions de 55 % d’ici à 2030, par rapport à 1990 — fit for 55 en langage bruxellois. Voilà pour l’objectif continental.

À l’échelle française, c’est la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui fixe la trajectoire de décarbonation de la France. Celle-ci vise l’atteinte du stade « zéro émission nette » d’ici à 2050. Cette trajectoire nationale est ensuite déclinée en trajectoires sectorielles. À chaque secteur est associé une feuille de route. Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) suit et adapte les feuilles de route sectorielles d’année en année, pour que la France atteigne son objectif national dans les temps.

Pour schématiser, si la décarbonation était un voyage, les objectifs seraient des points à atteindre, et les trajectoires seraient les chemins qui mènent à chaque point. L’objectif, c’est la destination ; la trajectoire, c’est l’itinéraire à suivre pour arriver à destination.

Les entreprises peuvent avoir leur propre trajectoire également

Mais alors, à l’échelle d’une entreprise, « vouloir respecter l’Accord de Paris », qu’est-ce que cela veut dire ? Quelles sont les étapes à suivre pour définir une trajectoire de décarbonation dans votre organisation ?

Étape 1 : le Bilan Carbone® permet de répertorier les émissions

Quand une entreprise entame une démarche environnementale, elle commence souvent par mesurer son empreinte carbone, ce qui lui permet d’évaluer l’empreinte de ses activités sur le climat. Elle dispose ainsi d’un inventaire des émissions induites par ses activités.

Les différentes émissions recensées lors d’un Bilan Carbone® sont rangées dans des périmètres, des grands ensembles appelés scopes. Le scope 1 correspond aux émissions directes, c’est-à-dire aux gaz directement rejetés par l’entreprise. Le scope 2 rassemble les émissions indirectes associées aux consommations d’énergie. Et le scope 3 regroupe toutes les émissions indirectes occasionnées par une entreprise en amont et en aval de son activité — par exemple, vos achats de matières premières ou l’utilisation de vos produits par vos clients.

Les scopes reflètent le niveau de contrôle que vous avez sur les émissions induites par votre activité. Si vous pouvez agir directement sur votre scope 1, vous devrez vous coordonner avec vos fournisseurs et vos clients pour agir sur votre scope 3, car vous n’avez pas directement la main sur les sources concernées.

Étape 2 : la trajectoire permet de définir le cap à tenir

Une fois vos émissions répertoriées, vous pouvez définir un cap à tenir, c’est-à-dire un pourcentage de réduction de vos émissions, à atteindre dans un horizon temporel défini, sur un périmètre fixé. Exemple : « nous nous engageons à réduire nos émissions de 80 % d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 2022 ».

Comme chaque scope présente des contraintes de réduction qui lui sont propres, vous pouvez vous fixer des objectifs différents d’un scope à un autre. L’entreprise d’électroménager Bosch s’est par exemple engagée à réduire ses émissions d’ici à 2030 :

  • de 85 % sur ses scopes 1 et 2 — ceux sur lesquels elle a la main ;
  • et de 15 % pour le scope 3 — lié à ses émissions en amont et en aval.

Vous vous demandez peut-être comment définir vos pourcentages de réduction. Devez-vous lancer des chiffres en l’air ? Réponse courte : non. Voyons comment font les autres.

SBTi et les trajectoires alignées avec la science

Au lieu de réinventer la roue en matière de trajectoire de décarbonation, la plupart des entreprises qui s’engagent dans ce genre de démarche s’appuient sur l’initiative Science Based Targets — SBTi, où le « i » renvoie à « initiative ». Cette initiative propose des référentiels, c’est-à-dire des pourcentages de réduction (des émissions) à respecter chaque année, déclinés par secteur et par typologie d’entreprises. L’avantage des référentiels SBTi, c’est qu’ils sont « alignés avec la connaissance climatique ». Autrement dit, si votre entreprise s’engage dans une trajectoire SBTi, alors vous visez le niveau de décarbonation requis pour être en conformité avec l’Accord de Paris. C’est implicite.

Des objectifs à court et long terme

La méthode SBTi recommande de fixer des objectifs de décarbonation à court-terme — 5 à 10 ans — et des objectifs à long-terme — d’ici à 2050. Les objectifs de long-terme doivent vous servir de cap. Ils sont généralement accompagnés d’un travail de vision stratégique. Les objectifs de court-terme doivent vous permettre de vous assurer que votre entreprise réduit ses émissions sans attendre, de suite.

Des trajectoires pour chaque secteur et taille d’entreprise

Les référentiels proposés par SBTi s’adaptent à la taille et aux secteurs des entreprises. À ce jour, il existe des référentiels pour les secteurs les plus chargés en carbone, à savoir : la métallurgie, les transports, les énergies fossiles, le secteur du textile, des matériaux de construction, etc.

D’autres référentiels sectoriels sont en cours d’élaboration par l’équipe de SBTi. Il existe également un référentiel simplifié pour les PME, qui les invite à se fixer des objectifs de réduction chiffrés sur leurs scopes 1 et 2 et à mesurer leur scope 3 — sans obligation de fixer des objectifs chiffrés pour ce dernier scope.

Exemple : notre client, Ponthier, a adopté une trajectoire SBTi pour PME. Les dirigeants de Ponthier se sont engagés à réduire leurs émissions d’au moins 42 % sur les scopes 1 et 2 d’ici à 2030, et à réduire les émissions liées à leur scope 3.

Comment rester sur votre trajectoire pour tenir vos objectifs

Une fois vos objectifs fixés et votre trajectoire établie, le plus dur commence : vous devez maintenant rester sur votre trajectoire, ne pas vous en écarter. Voici quelques conseils pour vous aider à garder le cap.

Inscrivez votre trajectoire dans votre stratégie d’entreprise

Vous avez identifié la trajectoire adéquate pour votre secteur et votre taille d’entreprise ? Bien joué. Vous pouvez passer à l’étape suivante : l’élaboration de votre plan de transition. Ce plan vous permettra d’atteindre vos objectifs climatiques sur le temps long. Pour aider nos clients à élaborer leur plan de transition, nous nous appuyons sur la méthodologie ACT, une méthodologie reconnue par les régulateurs, comme la Banque de France, et dont la mise en place peut être subventionnée par l’ADEME.

Cette méthodologie permet aux entreprises de créer une stratégie bas-carbone en plusieurs étapes. La première étape consiste à analyser la maturité climatique de l’entreprise, notamment à la lumière des risques et des opportunités que le climat représente pour l’entreprise concernée. Une fois cette étape passée, l’entreprise qui suit la méthode ACT imagine l’évolution de ses activités à plusieurs horizons de temps — par exemple 2030 et 2050. Cette vision est ensuite déclinée en axes stratégiques, puis détaillée dans un plan d’actions à la fois chiffré et séquencé dans le temps.

Suivez vos émissions d’aussi près que vos résultats financiers

Une fois votre planification stratégique réalisée, avec ou sans méthode ACT, vient le temps de l’exécution de votre plan d’action. Pour vous assurer de l’efficacité des actions que vous menez, vous devez être capable de suivre efficacement votre « performance carbone ».

En clair, vous devez collecter, consolider et analyser régulièrement les données portant sur vos émissions, un peu comme ce que vous faites déjà avec les données portant sur la performance financière de votre entreprise. Des plateformes de comptabilité carbone existent pour vous simplifier la tâche sur ce point précis. Si vous disposez d’un ERP assez flexible pour intégrer directement les données carbone associées à vos différents flux, c’est encore mieux.

L’entreprise Ponthier a par exemple confié le suivi de ses données carbone à sa direction financière. Notre équipe a ensuite formé les contrôleurs de gestion et les comptables de Ponthier à la comptabilité carbone. Ces derniers assurent aujourd’hui un suivi trimestriel de la performance carbone de Ponthier, avec des « clôtures carbone » comparables aux clôtures comptables.

Embarquez tous les départements de votre entreprise

Vous avez probablement une direction administrative et financière (DAF) en charge du suivi de votre performance financière. Cette personne, ou cette équipe, consolide vos budgets et vos comptes. La DAF agit comme une coordinatrice. Mais elle n’est pas la seule responsable de la bonne ou de la mauvaise performance de votre entreprise : chaque département ou business unit est aussi responsable de son budget, au moins dans une certaine mesure.

Quand on parle de comptabilité carbone, le partage des responsabilités fonctionne de la même façon : la coordination est assurée par l’équipe RSE ou par la DAF, mais nous vous recommandons de décliner vos objectifs de décarbonation au niveau de chaque département ou business unit, afin de les rendre responsables de leur propre intensité carbone. Vous placerez ainsi votre démarche de décarbonation au cœur de vos équipes, au plus près du terrain.

Ça ne sera jamais facile mais vous allez devenir meilleur

La transformation qui vous attend est compliquée

Engager votre entreprise sur une trajectoire de décarbonation à long terme signifie que vos émissions devront avoir diminué (en valeur absolue) d’au moins 80 à 95 %, selon votre secteur d’activité, d’ici à 2050, par rapport à maintenant. Dit autrement, vous devez réduire vos émissions continuellement, pendant les 25 prochaines années, sur un rythme de -4 à -6 % par an. Si vous ajoutez à cela un objectif de croissance de votre activité, de +5 % par an par exemple, l’effort à fournir sera double, car l’assiette que vous essayerez de réduire continuera à grossir mécaniquement. Vaste programme, donc.

Rassurez-vous, les réductions des premières années sont généralement faciles à atteindre, grâce à des leviers d’amélioration opérationnelle. Si vous dirigez une entreprise industrielle, vous pouvez par exemple mettre en place un système de management environnemental, ce qui vous aidera à réduire vos consommations énergétiques et vos déchets de production. Toutefois, si vous travaillez uniquement sur ce type de leviers, vous allez probablement vous heurter à un « plafond de verre » — ou plutôt un plancher — dans la réduction de vos émissions. Dit autrement, la difficulté de l’exercice n’est pas linéaire. Plus vous avancez dans le jeu, plus le jeu devient difficile, ardu, et plus les coups « faciles » se font rares.

Les résultats de votre bilan carbone vous ont probablement enseigné que votre scope 3, c’est-à-dire vos émissions indirectes, constituait la majorité de vos émissions de gaz à effet de serre. C’est le cas pour la plupart des entreprises que nous accompagnons. Par définition, vous n’avez pas directement la main sur les émissions qui tombent dans votre scope 3, car ces dernières sont le fait de vos partenaires. Pour influencer vos partenaires, vous pouvez encourager vos fournisseurs à mettre en place des actions de décarbonation. C’est ce que fait Picture, un fabricant de vêtements de sport, en aidant ses fournisseurs à installer des panneaux solaires sur leurs sites.

Le cas de Picture est un cas idéal. En pratique, il n’est pas rare que vos parties prenantes ne soient pas prêtes à lancer une démarche de décarbonation. Il est aussi possible que vos partenaires se soient fixés des objectifs de décarbonation inférieurs aux vôtres, ce qui peut vous ralentir. Dans ce cas, vous devez trouver des chemins détournés. Cela peut passer par des modifications dans la composition de vos produits, un questionnement sur votre offre, voire sur votre modèle d’affaires — plus facile à dire qu’à faire, certes. La laiterie Maison Collet a par exemple créé une nouvelle ligne de desserts végétaux (sans lait animal) afin de réduire les émissions liées à ses achats de lait, et donc à l’élevage de vaches et de brebis. Cette nouvelle ligne de produits lui a également permis d’accéder à un nouveau marché : celui des gens qui ne consomment pas de produits laitiers.

Pensez « contribution systémique » plutôt que « transition individuelle »

Dans certains secteurs, la réduction des émissions est difficile. C’est par exemple le cas dans les secteurs fortement régulés, comme l’industrie du médicament, ou bien lorsque la pression sur les prix est trop forte, comme dans le monde du textile. Si vous êtes dans ce cas de figure, nous vous conseillons de privilégier la mise en place d’actions systémiques, à savoir des actions qui vont permettre des avancées environnementales au sein de votre secteur tout entier — pas seulement à votre niveau particulier. Nous pensons à des actions de plaidoyer, comme le mouvement En Mode climat, dont l’objectif est de faire changer les lois du secteur textile pour obliger les entreprises à changer leurs pratiques.

Adopter une vision systémique de la transition implique donc de mener des actions qui n’auront pas d’impact direct sur votre propre trajectoire individuelle, mais qui seront utiles pour la transition de l’économie. C’est un gros effort. Cela nous amène à notre dernier conseil : si l’on considère la transition de l’économie dans son ensemble, il n’est pas pertinent pour toutes les entreprises de définir une trajectoire de décarbonation.

Comme nous le constatons souvent, l’empreinte carbone d’une entreprise ne reflète pas nécessairement sa contribution à la transition bas-carbone. Prenons un exemple : une entreprise vendant des chaudières au fioul peut avoir le même bilan carbone qu’une entreprise qui vend des vélos. Pourtant, leur contribution à la transition énergétique et écologique n’est pas la même. La première contribue au réchauffement climatique tandis que la seconde participe à la décarbonation des transports.

Pour filer notre métaphore théorique, l’entreprise qui vend des vélos devrait croître, idéalement, car son activité participe à la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Est-ce que notre vendeur de vélos imaginaire doit s’engager sur une trajectoire de réduction des émissions ? Pas forcément. Dans son cas, l’exercice n’est pas pertinent. Est-ce que notre vendeur de vélos doit être exemplaire sur le plan environnemental ? Idéalement, oui. Le fait de ne pas définir de trajectoire de décarbonation, n’a pas valeur de carte blanche climatique, ce n’est pas un permis de tuer le climat.

Si le vendeur de vélos est dispensé de trajectoire, vous vous dites peut-être que le vendeur de chaudières au fioul n’y coupera pas, lui ? C’est plus compliqué que ça. Avant de se lancer dans des grandes trajectoires sur 25 ou 30 ans, le vendeur de chaudières aurait tout intérêt à interroger son offre, en cherchant par exemple à réduire le nombre de modèles au fioul dans son catalogue, progressivement. Une fois ce plan de transformation défini, notre chauffagiste imaginaire pourra se fixer une trajectoire précise avec des objectifs chiffrés, mais pas avant — car cela reviendrait à faire des paris sur un modèle d’affaires qui pourrait ne pas tenir jusqu’en 2050.

Le plus tôt le mieux

Les notions d’objectifs et de trajectoires de décarbonation peuvent sembler abstraites, théoriques. Elles peuvent l’être, bien sûr, surtout si vous les considérez comme un exercice comptable de plus. Mais elles peuvent aussi être plus qu’un simple exercice comptable. Les objectifs et les trajectoires de décarbonation peuvent aussi être votre boussole climatique, votre cap dans la transition écologique.

En visant des objectifs de décarbonation alignés avec l’Accord de Paris, vous ferez plus que limiter le réchauffement climatique. Vous réfléchirez à la vision et à la stratégie de votre entreprise. Vous gagneriez à ouvrir ces réflexions dès à présent, afin de ne pas être pris de cours par vos clients, vos concurrents, ou vos partenaires financiers. La transition ne deviendra jamais facile, mais plus vous commencez tôt, et plus vite vous atteindrez le stade où vous êtes à l’aise.

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