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La corporate sustainability reporting directive, ou CSRD pour faire court, est une directive européenne qui concerne la publication d’informations par les entreprises. Plus précisément, la CSRD vise à standardiser les déclarations ESG des entreprises, c’est-à-dire les rapports qui touchent à l’environnement, au social et à la gouvernance. Votée en 2022, la CSRD s’applique à certaines entreprises françaises et européennes depuis le 1er janvier 2024. D’ici à 2030, 50 000 entreprises pourraient être concernées par la CSRD — des grands groupes jusqu’aux PME.
Si vous voyez la CSRD comme « un machin bureaucratique de plus », vous tombez à pic. Dans les lignes qui suivent, nous n’allons pas tenter de vous démontrer que la CSRD est un bijou de simplicité administrative. Ce serait ambitieux. Nous allons en revanche essayer de vous montrer que la CSRD peut servir de prétexte à des discussions intéressantes. Oui, la CSRD va vous obliger à sortir des indicateurs sur votre entreprise et sur sa place dans le monde, mais vous auriez tout intérêt à faire ces analyses dans tous les cas — avec ou sans CSRD.
Pourquoi y a-t-il une CSRD plutôt que rien ? La CSRD ne vient pas combler un vide. C’est une évolution, pas une révolution. Cette nouvelle directive européenne complète une directive existante : la non-financial reporting directive, ou NFRD. La NFRD oblige depuis 2014 les entreprises européennes à rendre publiques des données qui dépassent le cadre purement financier. Comme toutes les directives européennes, la NFRD a été transposée en droit français, pour donner la déclaration de performance extra financière, ou DPEF, en 2017. La CSRD a quant à elle été transposée en droit français le 7 décembre 2023.
Que change la CSRD par rapport à la NFRD (DPEF) ? En plus de vous forcer à mémoriser un sigle supplémentaire, la CSRD :
Avec la CSRD, la Commission européenne entend :
Pour que tout ceci ne débouche pas sur des tableurs bâclés, les déclarations effectuées dans le cadre de la CSRD devront être certifiées par un organisme tiers. Les commissaires aux comptes ont mis en ligne une présentation sur ce point précis.
À partir de 2024, la CSRD va concerner un peu plus d’entreprises chaque année.
À terme, toutes les sociétés cotées qui opèrent en Europe seront donc logées à la même enseigne, que leur siège se trouve en Europe ou non.
L’importance de la CSRD tient aux nouveaux standards de publication qu’elle rend obligatoires. Si vous n’êtes plus à un sigle près, retenez que ces standards se nomment ESRS, pour european sustainability reporting standards.
La CSRD est le véhicule normatif qui impose les ESRS aux entreprises concernées. Les ESRS contraignent les entreprises à fournir des indicateurs choisis pour leurs pertinence aux yeux des régulateurs, des investisseurs, et du public au sens large. Au total, les ESRS régissent environ 1 100 indicateurs — un tiers sont obligatoires.
Pour simplifier leur lecture et leur utilisation, l’Europe a divisé les ESRS en 12 sous-groupes de normes. 2 de ces groupes sont transversaux — ESRS 1 et ESRS 2. Quant aux 10 autres groupes, ils portent sur des sujets bien particuliers, comme le climat (ESRS E1), les effectifs de l’entreprise (ESRS S1), ou sa gouvernance (ESRS G1).
À ces 12 normes globales viendront s’ajouter 41 normes sectorielles. Pour compléter le tableau, des normes simplifiées devraient aussi voir le jour. Elles seront destinées aux PME cotées ainsi qu’aux PME à la fois non-cotées et non soumises à la CSRD — mais volontaires pour faire une déclaration malgré tout.
Par rapport aux autres normes comptables, la spécificité de la CSRD tient à l’analyse de « double matérialité » qu’elle rend obligatoire.
Le « double » de double matérialité renvoie à la double obligation déclarative imposée aux entreprises. Avec les ESRS, ces dernières doivent jouer sur deux tableaux.
Bref, si on parle de double matérialité, c’est parce que les données publiées par les entreprises dans le cadre de la CSRD doivent contenir à la fois des informations financières et extra-financières — ces deux types d’informations étant placées sur un pied d’égalité.
Le « matérialité » de double matérialité renvoie à l’importance relative d’un sujet aux yeux d’une entreprise, c’est-à-dire à sa pertinence du point de vue de l’entreprise. Dans ce sens, le contraire de matériel n’est pas immatériel ou invisible ; ce serait plutôt rien à signaler. Pourquoi distinguer ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas ? Parce qu’avec la CSRD, tout commence par une analyse de double matérialité. Cette analyse doit être conduite et publiée dans le respect des standards établis par les normes ESRS 1 et 2 — les deux seules normes obligatoires.
Une fois l’analyse de double matérialité bouclée, la publication d’informations sur les 10 autres sujets répertoriés dans les ESRS est dite « obligatoire sous condition », c’est-à-dire facultative. La logique est simple : si l’analyse de double matérialité a montré qu’un sujet était important pour votre entreprise, alors vous devez suivre la norme correspondante pour publier des indicateurs sur le sujet en question. Inversement, si l’analyse de double matérialité vous a permis de conclure qu’un sujet n’était pas pertinent pour vous, alors vous n’avez pas de comptes à rendre en la matière — exception faite du climat (ESRS E1), où vous devez justifier votre décision si vous rendez feuille blanche.
Exemple : si vous faites une analyse de double matérialité, et s’il en ressort que l’eau est indispensable à votre production, alors vous devez fournir des indicateurs sur votre usage de l’eau et des ressources marines en respectant les ESRS correspondants (ESRS E3).
Résumons : la CSRD introduit la notion de double matérialité, qui impose la publication de données extra-financières dans le cadre des normes ESRS. Pour le dire encore plus simplement : les entreprises soumises à la CSRD doivent publier plus que des informations comptables.
Si vous dirigez une entreprise concernée par la CSRD, vous avez deux options, en forme de pari pascalien :
Quel que soit le regard que vous décidez de porter sur la CSRD, si votre entreprise est concernée, vous n’y couperez pas. Nous allons essayer de vous convaincre que vous ne risquez pas grand-chose à jouer le jeu de la CSRD.
L’intérêt de la CSRD tient à l’analyse de double matérialité. La double matérialité va vous encourager à lever la tête, à porter votre regard autour de vous, à voir plus loin que le prochain exercice comptable. Vous pouvez considérer la CSRD comme un moyen au service de votre réflexion. La CSRD doit vous permettre de lister les sujets « importants » pour votre entreprise, tout en vous renseignant sur les indicateurs à suivre — c’est le rôle des ESRS.
Prenons l’exemple du fabricant de vélos Moustache. Moustache est une entreprise française, qui assemblait jusque-là des vélos essentiellement produits en Asie — à commencer par le cadre. Cette division internationale du travail fonctionnait bien, jusqu’à ce qu’une pandémie passe par là. Pour réduire sa dépendance au transport maritime, et limiter les émissions qui y sont associées, Moustache va produire le cadre de son prochain vélo en France, à 100 %. Dans le cas de Moustache, le Covid-19 a servi de prétexte à une transformation de la chaîne de production. La CSRD a pour ambition de provoquer des déclics équivalents, sans obliger tout le monde à porter un masque.
En jouant le jeu de la CSRD, vous n’aurez pas d’autre choix que d’interroger la place de votre entreprise sur une planète qui se réchauffe. Que pourriez-vous tirer de ces réflexions ? De nouvelles priorités, des ajustements stratégiques, des offres adaptées, une remise à plat de vos relations avec vos partenaires, voire un nouveau modèle d’affaires. À vous de décider. La CSRD ne fait que poser des questions. Les réponses vous appartiennent.
Vous pouvez voir la CSRD comme un « lot de méthodologies » que vous allez devoir utiliser — pas seulement pour cocher des cases, mais aussi et surtout pour prendre des décisions à la lumière de vos analyses. Que contiendrait ce lot de méthodes ? Tout dépend des sujets que vous allez déclarer comme « importants », bien sûr, mais si le climat est pertinent pour vous, alors vous devrez fournir les indicateurs prévus par la norme ESRS E1, ce qui revient à faire :
Ces méthodologies existaient avant la CSRD, mais de manière distincte, séparée, éclatée. Ce qui est nouveau avec la CSRD, c’est que vous allez devoir faire des ponts entre ces informations, pour les fondre dans un moule commun. Plus vous aurez d’expérience sur chacune de ces méthodologies, et plus simple sera votre transition vers la CSRD.
Les indicateurs que vous allez devoir fournir dans le cadre de la CSRD ne seront pas perdus. La Commission européenne a fait en sorte que les normes ESRS restent proches des normes de l’international sustainability standards board (ISSB) et celles de la global reporting initiative (GRI). L’organisme qui a planché sur les normes ESRS (l’EFRAG) a même produit un tableau d’équivalence ESRS/IFRS. Pas de double déclaration à prévoir, donc, ou à la marge seulement.
Autre exemple : même si vous êtes encore loin du seuil à partir duquel la CSRD s’applique, observez ce qui se passe au niveau national. Que fait la Banque de France ? La Banque de France va intégrer des indicateurs climatiques dans la cotation qu’elle attribue à plus de 300 000 entreprises chaque année. Sur quoi ces indicateurs reposeront-ils ? Sur la méthodologie ACT, c’est-à-dire sur l’une des démarches que vous pourriez entreprendre si la CSRD vous concernait. Indirectement, vous pourriez donc croiser des bouts de dispositifs inspirés par la CSRD, ou compris dans cette dernière, et ce bien avant que votre PME ne soit cotée sur Euronext ou ailleurs.
Vous nous voyez venir à ce stade… Si le climat est important pour votre entreprise, la CSRD va vous obliger à entamer une démarche de décarbonation de type ACT Pas-à-Pas, et cette démarche vous donnera des billes pour répondre aux questions de la Banque de France tout en satisfaisant les standards ESRS E1 — ceux qui portent sur le climat. Coup double.
Il est aussi possible que les banques et les assureurs intègrent de plus en plus d’indicateurs climatiques dans leur système de notation des entreprises. Avec la CSRD, les banquiers et les assureurs bénéficieront d’indicateurs harmonisés à l’échelle européenne, des indicateurs qui viendront s’ajouter à leurs calculs internes. Exemple d’indicateur qui figurera dans les déclarations CSRD : la liste des actifs importants qu’une entreprise possède et qui sont exposés à un risque physique, comme des vents violents ou des épisodes de sécheresse. Qu’avez-vous à perdre à dresser cette liste dès à présent ? Si vous ne le faites pas pour la CSRD, faites-le pour votre banque.
Parce qu’elle vous pousse à lever la tête, la CSRD vous aidera à faire bonne impression aux yeux d’acteurs qui font des paris sur le temps long, comme les banques, les investisseurs, et les assureurs.
La CSRD est là. Elle va concerner jusqu’à 50 000 entreprises d’ici à 2030, parmi lesquelles des PME et des ETI. Si vous faites partie du lot, vous n’avez rien à perdre à vous intéresser aux indicateurs demandés par les normes ESRS. Ces indicateurs vous serviront de prétexte pour lever la tête, faire des connexions que vous ne feriez peut-être pas sans cela, tout en remplissant d’autres obligations réglementaires au passage.
Et si vous souhaitez faire de la CSRD un outil stratégique, écrivez-nous. Magelan peut vous aider à répondre aux exigences fixées par les ESRS.
Mise à jour du 10 janvier 2024 : répondez à 3 questions pour savoir si votre entreprise est concernée par la CSRD. Nous avons créé un test gratuit qui reprend les grands critères d’application de la CSRD.